Prendre le pouvoir

En entrant dans l’espace d’exposition, nous tirons au sort un pouvoir. Le temps de notre visite nous sommes critique d’art, gardienne d’ambiance, protectrice des œuvres ou encore gardienne de la propreté des sols. Choisir d’exercer notre pouvoir c’est assumer notre part de responsabilité dans l’événement, sortir d’une posture de consommation qui nous prive d’autonomie et de raisons d’aller vers les autres, c’est retrouver des moyens pour tisser une communauté. Rien d’obligatoire cependant, on peut changer son pouvoir si on n’est pas à l’aise avec, ou choisir de ne pas participer. On peut aussi échanger son pouvoir avec une autre personne.

Et de nos bouches sortent des diamants, des crapauds et des rires, 28 septembre 2019, chapelle des Cordeliers, Crest (Drôme)

Proposer à chaque entrante de prendre un pouvoir sur l’événement produit plusieurs effets. C’est d’abord remettre à plat – sur le même plan – les rôles nécessaires à la tenue de l’événement : le travail habituellement invisibilisé, le nettoyage par exemple, y vaut la critique d’art. C’est ensuite manifester notre confiance a priori en accueillant chaque être humain comme membre déjà à part entière d’une communauté qui compte sur et pour elle. Alors, il y a à regarder éclore les bonnes volontés et des solidarités se tisser. Aussi, dès que l’experte n’est plus seule autorisée à faire ou à dire, d’autres peuvent produire des manières surprenantes, des références vivifiantes. C’est élargir les possibles, sans oublier que cette redistribution des rôles est, en elle-même, un exercice de pouvoir (toujours critiquable).

Jeune création 70, du 12 au 26 septembre 2020, galerie Thaddaeus Ropac Pantin

Prendre le pouvoir est un dispositif qui peut se déployer chaque fois que nous disposons d’un interstice pour faire pousser les « mauvaises » herbes, quand on veut planter quelque chose d’assez puissant pour fissurer le béton, faire germer un écosystème artistique mieux capable d’assurer, au-delà de notre survie, notre bien-être ; où la richesse mieux partagée permettrait que s’entendent les histoires jusque-là silenciées de la majorité : artistes femmes, pauvres, racisées, transgenres, présentant une diversité fonctionnelle, et j’en oublie sûrement. Toutes voix qui nous manquent pour faire un environnement plus respirable.

Soyons compost et rivière, débordantes, gonflées, assumons notre « bon » et notre « mauvais » goût, nous sommes les accueillantes, grouillantes, fertilisantes, reliées d’un bout à l’autre de la planète par les ronces et le wifi, nous sommes celles qui dansent au bord de la catastrophe et de nos bouches sortent des diamants, des crapauds et des rires.

Extraits d’un texte publié dans En Être, Journal de la 70e édition de Jeune création, septembre 2020.